Le 02 août 1936 en début d’après-midi, malgré la chaleur étouffante, le maire de Patrimonio Antoine Joseph Giacinti (dit « U Nutaru ») réunit le conseil municipal de la commune.
L’instant est solennel, les mines sont graves.
Deux jours auparavant, le village a été le théâtre d’une opération dangereuse, celle de la capture d’un forçat évadé de l’île italienne de Pianosa.
Le conseil municipal appréciant le zèle déployé par monsieur Antoniotti, curé du village, dans l’accomplissement de cette opération lui adresse ses remerciements au nom de la population et ses plus chaleureuses félicitations.
Depuis sa nomination en mai comme prêtre de la paroisse de Patrimonio, le père Antoniotti se rend régulièrement dans le village voisin de Farinole. C’est le cas le 31 juillet. Voilà notre bon curé qui quitte le presbytère, tout de noir vêtu de la soutane au chapeau.
Il passe devant la forge du Cardeto, s’arrête quelques instants pour discuter avec le forgeron, puis il prend le chemin qui mène au Calvello. En contrebas du sentier, on fauche les blés. Les moissonneurs occupés dans leur tâche ne l’ont même pas remarqué.
A présent le chemin passe au milieu des vergers. Les arbres sont chargés. Une branche de prunier plie légèrement sous le poids des fruits bien mûrs. Le prêtre ne résiste pas à la tentation, il tend le bras et se saisit d’une prune bien mauve. Il la porte à sa bouche. Quelle saveur ! Un rapide coup d’œil autour de lui. Personne en vue. Parfait. Une deuxième prune est engloutie. Il en aurait bien cueilli quelques-unes pour la route mais cette satanée soutane n’a pas de poche.
Il reprend sa route, arrive au Calvello. Devant lui se dresse l’imposante demeure familiale des anciens notables du village. Il la contourne et arrive devant la chapelle de la Trinité. Il ôte son chapeau et entre prier quelques minutes. En ressortant il aperçoit au-dessus de la porte d’entrée de la maison Calvelli la plaque rappelant que cette maison fut défendue par les fusils corses et attaquée par les canons français en temps de trêve, le 01er août 1768.
Le prêtre hausse les épaules, remet son couvre-chef et s’engage dans le chemin qui descend vers la rivière.
Tranquillement il s’avance vers Fiume Albinu. Quelques villageois vaquent à leurs occupations dans les potagers le long des berges. Il les salue, traverse le pont génois et s’arrête un moment à l’ombre d’un arbre pour se reposer au frais avant d’entamer la montée vers Farinole. Il avance lentement, la chaleur commence à se faire sentir. Le chemin, matérialisé par des murs en pierres sèches, grimpe vers l’ancien couvent de Marianda, qu’il devrait apercevoir d’ici une petite demi-heure.
Il s’arrête pour reprendre son souffle, se retourne et admire le paysage. Devant lui, dressée sur un promontoire, l’église dédiée à Saint-Martin et A casa Calvelli. Au fond le massif de Tenda et ses villages en balcon. Sur sa gauche les hameaux de Stazzona et Ficaja accrochés à flanc de montagne. Les terrasses cultivées cernent les habitations. Plus haut dans la montagne la châtaigneraie de Rugani et la Serra. Sur sa droite les vignes qui s’en descendent jusqu’aux collines calcaires qui séparent la vallée de la mer.
Soudain le père Antoniotti perçoit une présence, il lui semble que quelqu’un est caché derrière un bosquet d’arbousiers. Il plisse les yeux, essaye de mieux voir. Oui, il y a bien une personne qui le surveille. Un frisson lui parcourt le corps. Un homme sort de cette sommaire cachette. Le prêtre dévisage l’individu. Il ne le connaît pas ce n’est pas un de ses paroissiens. IL est vêtu de haillons et semble exténué.
L’homme s’adresse à lui en italien : « Monsieur l’abbé, n’ayez pas peur. Je ne vous veux aucun mal. Aidez-moi j’ai faim, je suis fatigué. Je me suis évadé de la prison de Pianosa ».
A ces mots le sang du prêtre se glaça. Surtout ne pas montrer sa peur, pensa-t-il.
Il se ressaisit, après tout il en avait vu d’autre, lui le titulaire de la médaille militaire pour faits de guerre.
Faisant preuve de courage il engagea la conversation avec le pauvre diable, essayant d’en apprendre plus sur son interlocuteur.
Il l’invita à rester caché ici même jusqu’à son retour, le temps pour lui de retourner au village et de lui ramener des provisions.
L’évadé, confiant dans la charité chrétienne du bon curé acquiesça.
Et voilà notre prêtre reprendre la route de Patrimonio, marchant tranquillement pour ne pas trahir son inquiétude et ses intentions. Mais dès qu’il se sait hors de la vue du brigand, il accélère le pas, puis se met à courir. Sur le retour il prend un chemin différent, il doit se rendre à la poste pour téléphoner aux autorités.
Mais quelle mouche a piqué monsieur le curé durent se demander les Patrimuninchi qui le virent arriver dans le Poretto, le visage rouge et en sueurs, la respiration difficile.
Enfin la poste est là au bout du chemin. Encore quelques mètres et le voilà qu’il s’engouffre dans le bâtiment.
Sans un bonjour pour le guichetier, le souffle coupé, il lui demanda de lui passer la gendarmerie au téléphone.
A l’autre bout du fil, le gendarme qui a pris connaissance des informations transmises par le prêtre, comprend que la situation impose d’agir rapidement mais prudemment sous peine de laisser s’échapper le malfrat.
Il donne des consignes au père Antoniotti. Il lui demande de ne pas en parler à la population et d’attendre l’arrivée des gendarmes.
L’individu étant signalé comme excessivement dangereux, les gendarmes du cap corse sont appelés en renfort.
Il fut décidé que le prêtre ayant su gagner la confiance de l’évadé, ferait parti du dispositif pour sa capture.
Le curé reprend donc la route pour Farinole, un panier rempli de nourriture sous le bras. Les gendarmes le suivent de loin, prenant toutes les précautions pour ne pas se faire repérer par l’individu recherché, mais attirant cependant l’attention de la population peu habituée à ce déploiement de force. Le questionnement et l’inquiétude gagne le village.
Le prêtre a rejoint le criminel. Il lui tend le panier de provisions. L’homme affamé commence à manger la nourriture que lui a apporté l’abbé Antoniotti. Profitant de la situation les gendarmes s’approche prudemment du lieu où se trouve notre lascar, mais à quelques mètres de lui ils sont repérés. L’individu se voyant trahi, s’échappe.
Un gendarme ouvre le feu stoppant net l’italien dans sa fuite qui s’effondre. Il est touché à la cuisse, il n’a pas le temps de se relever que déjà les gendarmes sont sur lui et le capture. C’est alors que le pauvre homme s’écrie « il corvo nero mi ha tradito ».
Sa blessure ne pouvant pas lui permettre de marcher jusqu’au village, un âne fut réquisitionné pour le transporter jusqu’aux véhicules des gendarmes stationnés à Patrimonio. Le long du trajet, la population s’est rassemblée pour voir passer le cortège. Le prisonnier est assis sur un âne, les mains liées, la jambe ensanglantée, des gendarmes l’entourent. Il est suivi du héros du jour : le curé Antoniotti.
Récit inspiré d’une histoire vrai qui s’est déroulée à Patrimonio à l’été 1936. Sources : Délibération du conseil municipal de Patrimonio ; Enquête orale auprès des anciens du village.

Une histoire un peu triste de trahison !